faire son pain

à la maison

Faire un bon pain au levain naturel maison n’est pas bien compliqué en soi ni très long, mais nécessite une expérience certaine pour ne pas être déçu par le résultat.

Cet article n’a comme objectif que de rappeler les fondamentaux, il sera complété par d’autres pour développer les différents aspects de la fabrication et se perfectionner.

Dans le courant de cette année, nous proposerons une formation d’une journée pour partager notre expérience et vous aider à raccourcir le long cycle d’essais/erreurs propre à tout apprentissage. Elle sera accompagnée pour les stagiaires d’une période suffisamment longue d’assistance pendant laquelle je les aiderai à distance à régler les problèmes rencontrés.

Enfin, rappelez-vous qu’il n’y jamais qu’une façon de faire, chaque boulanger fait un pain différent, je vous présente ici ma vision des choses.

Sommaire

Les ingrédients

Les trois ingrédients de base sont la farine, l’eau et le sel. Simple à priori, mais comme d’habitude, le diable est dans les détails.

La farine d’abord, résultat de la mouture d’une céréale, en général le blé.

Nous n’allons pas ici élaborer sur le blé, céréale dont la domestication est très ancienne, mais sachez qu’il en existe de très nombreuses variétés et qualités. Choisissez de préférence une farine sans aucun additif, certifiée agriculture biologique (et nous verrons plus loin pourquoi), fraîche, et si vous en trouvez, à base de blés anciens et moulue sur meule de pierre.

L’eau ensuite. Une ressource si précieuse et tellement gaspillée.

Comme il est rare aujourd’hui d’avoir accès à une source naturelle d’eau pure, il ne nous reste malheureusement que deux options: l’eau de source en bouteille, ou l’eau du robinet purifiée. Pour la première option, choisissez une eau la moins riche en minéraux possible, un bon indice étant l’indication que l’eau est adaptée à l’utilisation pour des bébés. Pour la deuxième, essayez de vous assurer que votre système de purification élimine au maximum pesticides et molécules résultant du traitement de l’eau par le chlore.

Le sel enfin. Denrée rare et taxée il y a quelques siècles, commune et dont on abuse aujourd’hui.

Choisissez celui qui vous convient, personnellement j’utilise du gros sel de mer.

Le quatrième ingrédient

Petit rappel pas si évident pour tous, le pain est un aliment fermenté comme une grande partie de notre alimentation (vin, bière, choucroute, fromages, yaourts, saucisson, etc…). Il va donc nous falloir un quatrième ingrédient, impalpable et invisible à l’oeil nu, mais absolument essentiel, un ferment. La majorité des boulangers utilisent aujourd’hui une levure industrielle et génétiquement très travaillée dérivée à l’origine des levures utilisées pour la fabrication de la bière (saccharomyces cerevisiae). Le levain naturel, lui, est le résultat d’une culture de levures et bactéries sauvages, un peu comme le kéfir, qu’il faut élever et entretenir. Vous trouverez sur la toile des quantités de recettes pour l’obtenir et l’élever.

Gardez en tête les fondamentaux: le levain est un troupeau d’être vivants minuscules, qu’il faut nourrir et dont il faut prendre soin. Les êtres qui composent ce troupeau sont de deux familles, les levures et les bactéries, et dans chaque famille de plusieurs races. Comme nous ne pouvons pas les voir, pour savoir s’il sont en bonne santé, la technique d’élevage se base uniquement sur l’observation du résultat de leur travail, par le goût, l’odeur et la vue.

Chaque « éleveur » ayant sa façon de faire, la diversité des levains naturels est très grande. La recette de base classique en version courte est la suivante : mélangez le même poids de farine et d’eau, par exemple 50g de chaque dans un récipient propre, à une température idéale d’environ 24° pour le mélange, en jouant sur la température de l’eau. Les petites bestioles qui sont naturellement présentes dans la farine (d’où l’importance de biologique – sans pesticides qui sont là pour les tuer – et fraîche), se trouvant dans un environnement qui leur convient, mangent et se reproduisent très rapidement, pré-digérant la farine pour nous et dégageant du gaz carbonique: les bulles dans le levain et plus tard dans la mie du pain.

Quand le milieu est saturé, la surpopulation et ses inconvénients menacent, c’est là que le boulanger procède à ce qu’il appelle un rafraîchi, tous simplement le nourrissage du troupeau par doublement des quantités, par exemple pour nos 100g de levain, ajoutez 50g d’eau et 50g de farine fraîche et bio pour les mêmes raisons, et on recommence.

Le travail du levain est absolument essentiel et conditionne en grande partie le résultat final, mais par chance il est techniquement facile (mélange de deux ingrédients) et se prête à l’expérimentation, alors n’hésitez pas, c’est plus amusant qu’un tamagochi. Le démarrage du troupeau étant un peu plus délicat que son entretien, pour ceux qui n’y arrivent pas, faites vous en donner ou venez vous former.

Enfin, l’art du boulanger est d’obtenir la bonne quantité de levain pour sa fournée, au bon niveau de développement au bon moment. Aïe, ça se corse. Bon allez, je vous donne un truc: vos petites bestioles s’endorment au froid. Vous pouvez donc, une fois un petit peu plus que la quantité nécessaire obtenue, la stocker dans un bocal en verre étanche type « le Parfait » rempli à mi hauteur ou aux trois quarts, et hop au frigo.

Pour la fournée, on les sort du frigo, on prélève ce dont on a besoin, on donne à manger au reste, on les laisse se multiplier dans leur bocal pendant qu’on s’occupe du pain, et au bon moment, retour au frigo jusqu’à la prochaine fournée. Si votre troupeau est en bonne santé et que vous avez tardé à les rendormir, il arrivera à sortir un peu du bocal, ne vous affolez pas, laissez les se calmer et passez un coup d’éponge dans le frigo après.

Les proportions

La variation de la proportion entre farine et eau aura une incidence directe sur la texture de la pâte. Plus humide, la pâte est plus collante et plus réactive au levain, d’où le dicton des boulangers

Pâte molle, patte folle. Pâte dure, pâte sûre.

Trop d’eau, et la pâte colle aux pattes et gonfle trop vite, trop peu d’eau, et la pâte est difficile à travailler, et le pain résultant, trop sec, se conserve moins longtemps et rassis plus vite.

On parle de TH, le Taux d’Humidité. il est généralement compris entre 60 et 70, suivant la nature de la farine et l’habileté du boulanger. Il est plus facile d’ajouter de l’eau qu’en enlever, un débutant commencera plutôt à TH proche de 60, et mouillera (bassiner en terme de boulange) sa pâte si nécessaire.

Deux points importants: le TH inclut toute l’eau, y compris les 50% d’eau du levain, et la température de l’eau va permettre d’ajuster la température finale de la pâte (pour que ça soit confortable et que nos petites bestioles travaillent bien).

Alors, combien de levain allons nous mettre dans notre pâte? Ben ça dépend, comme on veut. Peu, et le temps pour notre troupeau de travailler toute la pâte sera plus long, beaucoup, et le goût du levain influera beaucoup sur le goût du pain. Une valeur classique pas trop compliquée pour commencer est de 20% du poids de farine.

Hum, avec tous ces pourcentages, on commence à nager un peu, non? Pas de panique, je vous le fait simple sur la base d’un pain de 1kg, TH 64 et 20% de levain à 50/50. En partant à l’envers, pour un pain de 1kg, il vous faudra environ 1,2kg de pâte, soit:

  • 660g de farine
  • 130g de levain
  • 400g d’eau
  • et 0 à 20g de sel

Ah oui le sel, on l’avait presque oublié. Le pain que vous achetez à la boulangerie est salé en général à environ 20g par kg de pain. Je trouve ça trop salé, et le mien est actuellement à 11g. A l’époque de Parmentier, le pain n’était pas salé, aujourd’hui, il l’est trop pour moi. En plus, comme notre pain est fabriqué au levain naturel, et pas à la levure industrielle, nos bestioles en boulottant la farine créent des composés aromatiques, pas besoin de mettre autant de l’exhausteur de goût qu’est le sel.

La fabrication

Jusque là, c’était plutôt un travail intellectuel, math et sciences nat. Maintenant, régressons un peu et mettons la main à la pâte. L’objectif ici est de mêler intimement tous nos ingrédients, pour que tout notre troupeau soit bien réparti dans la pâte, mais aussi pour une autre raison, plus technique.

Mais avant d’aller plus loin, réglons rapidement une question: pourquoi ne pas tout mettre dans un robot mélangeur et appuyer sur le bouton? Un, c’est beaucoup moins marrant, et deux, le boulot est nettement moins bien fait.

Alors, à part mélanger, ça sert à quoi de « pétrir » la pâte, et comment on fait? La farine contient en gros deux éléments principaux, l’amidon, un sucre complexe soluble dans l’eau, et le gluten, formé de chaines de protéines, qui avec de l’eau va contribuer à créer un réseau élastique grâce au pétrissage justement. Pour cela, la main est bien plus délicate que l’accessoire du robot.

Commençons.

le frasage

L’objectifs de cette étape est d’obtenir une belle masse de pâte homogène, à une température autour de 24-26°C.

Réunissez tous les ingrédients déjà pesés. Munissez-vous d’un récipient alimentaire type bassine, ou encore mieux bac à pâte de boulanger, et deux récipients avec chacun la moitié de l’eau. Dans un de ces récipients, délayez le sel, dans l’autre le levain. Versez toute la farine dans le bac, faites un puits au milieu et versez-y l’eau avec le levain. Commencez à mélanger d’une main seulement, l’autre reste propre et maintient le bac. Une fois l’eau et le levain partiellement intégrés, ajoutez l’eau salée (si vous utilisez du gros sel de mer, évitez de verser le dépôt vaseux qui reste au fond du récipient). Puis finissez cette étape qu’on appelle le frasage.

La technique de base consiste à ramasser la pâte et la replier sur elle même jusqu’à ce qu’elle forme une masse homogène. En fin de frasage, ramassez toute la pâte qui reste collée au bac et sur vos mains avec une corne (spatule sans manche plutôt souple mais pas trop, aujourd’hui en plastique, dans le temps une feuille de corne déroulée), puis repliez une dernière fois la masse de pâte en une belle boule. L’indice qui vous dit que cette étape est terminée, c’est la pâte qui commence à se décoller des mains plus facilement. Le temps de frasage est environ 10 minutes, en fonction de votre expérience et de la quantité de pâte. Couvrez votre récipient, d’un couvercle ou d’un linge propre légèrement humide sinon.

Pour la question délicate de la température, les boulangers ont un truc. Comme il est difficile de modifier la température de la pièce ou de la farine, on joue sur la température de l’eau. Au début, on travaille de manière empirique et on mesure la température de la pièce, de la farine, de l’eau et de la pâte obtenue. Par exemple on travaille dans une pièce à 19° avec une farine à la température de la pièce avec une eau à 26°.

La somme de ces 3 températures, 19+19+26=64 dans notre exemple est une valeur empirique qu’on appelle la température de base. Mesurez en fin de frasage la température de la pâte. Vous ajusterez la fois suivante votre température de base à la hausse ou à la baisse de 3 fois l’écart constaté avec le température recherchée. Dans notre exemple, si votre pâte est trop froide d’un degré, la fois suivante vous partirez d’une température de base de 67, et vous ajusterez la température de l’eau en conséquence.

Mais que faire les premières fois si ma pâte est trop froide ou trop chaude? Eh bien, prévoyez le coup, gardez une petite partie de l’eau de côté avant de délayer le levain et le sel, que vous pourrez chauffer ou remplacer par de l’eau froide pour bassiner votre pâton, et ainsi le réchauffer ou le refroidir légèrement.

la pousse

Ouf, le plus difficile est fait. Je pense qu’après cette étape vous avez compris le sens de l’expression « se dépêtrer ». C’est au tour de votre troupeau de travailler. La pâte va gonfler et se tendre, doubler de volume. Combien de temps dure cette phase? Eh bien c’est assez variable, en fonction de la qualité et de la quantité du levain, de la température de la pâte et de la pièce, et de l’âge du capitaine… Alors comment sait-on si nos bestioles ont fait leur boulot? Deux indices visuels vont vous aider. Le premier est le volume de la pâte, il va à peu près doubler.

Le deuxième indice, nous allons aller le chercher sous le pâton: soulevez délicatement un bord du pâton en regardant dessous, vous devriez voir comme des filaments. La pousse est terminée. Sur la base de notre exemple, la pousse peut avoir duré entre 3 et 4 heures avec un levain bien actif.

le façonnage

C’est ici que le boulanger va diviser sa masse de pâte en pâtons et façonner ses pains et ses baguettes. C’est une étape nécessitant pas mal d’expérience, et pour un pain à la maison, nous allons nous simplifier la vie. Vous aurez besoin d’un récipient quelconque de type saladier, en forme de bol et suffisamment grand pour contenir deux fois le pâton, et d’un linge propre (attention aux lessives et savons parfumées, à éviter absolument. S’il faut le laver, utilisez par exemple du savon d’Alep, et rincez bien) et sec, l’idéal étant un tissu de lin grossier, mais un torchon classique de cuisine métis (lin/coton) pourra convenir. Vous aurez juste à bien le secouer et le laisser sécher entre deux fournées.

Farinez légèrement votre plan de travail (le boulanger dit « fleurer » le plan de travail) si vous êtes adroit, en lançant une ou plusieurs pincées de farine, sinon, tout simplement avec un peu de farine dans un tamis que vous tapotez au dessus du plan de travail. En tenant le bac à pâte d’une main par un bord, inclinez-le progressivement et avec la corne dans l’autre main décollez la pâte, jusqu’à décoller le pâton complètement et le faire tomber à l’envers sur votre plan fariné.

Si nécessaire farinez-vous légèrement les mains en les posant sur le plan de travail, et repliez le pâton en trois, et recommencez suffisamment de fois pour qu’il forme une belle boule, mais sans faire craquer la peau de la pâte. On glisse les mains délicatement sous le haut du pâton, et on le rabat sur le milieu, puis de même sous le bas. La deuxième fois, on tourne le pâton d’un quart de tour et on recommence, etc… Nous n’allons pas ici nous soucier de la soudure, mais juste faire attention à ne pas mettre de paquet de farine à l’intérieur du plis, afin que la pâte se colle bien sur elle même. Une fois la boule suffisamment ferme pour la manipuler, la prendre par dessous et la poser délicatement sans la retourner dans le saladier garni du linge, fariné légèrement lui aussi.

l’apprêt

C’est la deuxième fermentation, le pâton va encore doubler de volume. Le temps d’apprêt est plus court que la pousse, dans notre exemple autour d’1h30. Les indices ici sont le doublement approximatif de volume, et l’élasticité de la peau du pâton. Le bout du doigt posé légèrement va laisser une dépression qui doit lentement se combler. Si la dépression reste, il est plus que temps d’enfourner. A ce stade le pâton est fragile, à manipuler avec délicatesse.

La cuisson

Il est temps d’enfourner, mais je n’ai qu’un four de cuisine, comment je fais? Le problème avec la plupart des fours ménagers, c’est le manque d’humidité. La vapeur d’eau qui se forme pendant la cuisson est nécessaire à la formation d’une belle croûte dorée et pas trop épaisse. Dans un four ménager, la vapeur s’échappe, le pain sèche trop, ne se développe pas bien. La solution de la coupelle d’eau dans le four ne fonctionne pas bien non plus, elle crée un point froid, et la vapeur s »échappe quand même. Reste aussi le problème de la sole: dans un four boulanger, le pain est posé sur une surface chaude qui a emmagasiné de la chaleur pendant la chauffe. Une simple tôle dans votre four ne va pas avoir le même comportement, vous risquez de « ferrer » le pain, le brûler dessous.

Alors comment? La réponse: une cocotte en fonte. La cocotte, chauffée dans le four à 250° (ou au max s’il ne va pas jusque là) pendant l’apprêt va se comporter comme un mini four boulanger, la fonte emmagasine la chaleur, et le couvercle empêche la vapeur de s’échapper. La phase délicate va être l’enfournement, sortir le pâton délicat de son berceau et le poser dans la cocotte sans se brûler ni le massacrer. Pour le coup, c’est plus facile pour le boulanger, il a juste à retourner la banette (ce panier avec un tissu de lin attaché dedans) sur sa pelle à enfourner et hop! Ensuite on « grigne », le petit coup de rasoir en biais qui permet au pain de s’ouvrir sans exploser n’importe comment, tout un art et la signature du boulanger, on referme vite et on remet la cocotte au four.

Une heure par kg, c’est un temps de cuisson de référence, mais ça va largement dépendre de votre four et de la cocotte. Les premières fois, vous pourrez brièvement ouvrir la cocotte pour jeter un oeil, mais surtout pas avant au moins la moitié du temps. Le plus tard possible en fait. Les premiers essais ne seront peut-être pas parfaits, ne désespérez pas. Expérimentez. Vous pouvez par exemple essayer de reproduire la descente graduelle en température d’un four boulanger traditionnel, en baissant le thermostat de votre four jusqu’à 200° après un moment.

Après une série plus ou moins longue d’essais / erreurs, vous obtiendrez VOTRE pain, celui qui vous plaît, une routine qui fonctionne bien, et c’est à ce moment que vous allez pouvoir vous lâcher, expérimenter avec d’autre farines, rajouter des graines, des olives, du lard, du fromage, des fruits secs, la limite est votre imagination.

Bon appétit.